dimanche 2 novembre 2008

Charles Kamdem : Le malheur des entreprises culturelles au Cameroun

Le directeur du Centre de Lecture et d’Animation Culturel de Mimboman dresse l’état des lieux de la culture et invite l’Etat à mettre en place une vision prospective du développement.
Que fait ton fils Marcel dans la vie ? demande une dame à son amie à l’occasion d’une retrouvaille, Je crois qu’il est entrepreneur culturel, lui répond celle-ci. La dame de poursuivre, pourquoi, il n’a pas encore trouvé du travail ? Et l’amie de conclure, il m’a dit qu’il fait cela en attendant. La culture n’est qu’un banal passe temps n’est ce pas ? Près de cinquante années après l’indépendance, les industries et entreprises culturelles au Cameroun tardent à imprégner durablement leur marque, et à s’imposer comme des secteurs d’activités à part entière et non pas des métiers de transition. Dans le petit récit qui précède, il apparaît clairement l’opinion qu’on se fait de tout ce qui touche à la culture dans notre pays. Le regard de la société – la Dame-, celui de la famille –l’amie-, et plus désespérant encore l’attitude des acteurs eux mêmes – ici Marcel-, est identique quant à ce qui est de la considération qu’on accorde à notre univers culturel. Nous aurions pu pousser jusqu’à l’environnement institutionnel (Etat) pour voir la portion congrue qui est réservée aux professionnels du livre, des arts plastiques, dramatiques, cinématographiques… ceux-ci sont invités de façon ponctuelle lorsqu’il s’agit d’agrémenter des soirées, ou encore à l’occasion de visites touristiques si ce n’est pas simplement pour boucler certaines lignes budgétaires.

Cette observation froide de la place que nous accordons à nos entreprises et industries culturelles, ainsi qu’aux différents intervenants de la filière traduit à suffisance le peu d’intérêt que nous donnons à notre patrimoine. Et pourtant toutes les sociétés modernes ne le sont que par leur culture. Convoquons l’Histoire pour observer que l’âme de l’Europe est avant tout grecque et judéo-chrétienne, comme celle de l’Afrique n’aurait jamais cessé d’être égyptienne si nous nous étions attelés à travailler durement à la perpétuation de ce formidable génie culturel au lieu de le revendiquer à tout bout de champs lorsque nous n’avons rien de concret à faire valoir. Ces sociétés, disions nous, se sont bâties sur le solide roc de leurs cultures ; ce qui explique leur domination, à divers moments, sur les autres peuples. Plus spécifiquement, en France par exemple on identifie le pays non pas à je ne sais quel multimilliardaire de l’antiquité, du moyen âge, ou des temps modernes, mais bel et bien à des Hommes de culture tel que Montesquieu, Clouet, Racine, Rouch, Bergson, Sartre… ; en Angleterre on parlera de Shakespeare, en Allemagne de Goethe. Et au Cameroun… Vous avez remarqué qu’il est difficile de poursuivre cette phrase, non pas qu’il n’y ait pas d’auteurs, de penseurs, d’artistes de grands, que dis-je, de très grandes valeurs, mais davantage qu’il manque d’encadrement, de cadre incitatif, de moyens matériels, logistiques et financiers qui promouvraient les rares espaces et entreprises culturels qui existent. Tenez parlant de structures publiques, dans une ville comme Yaoundé par exemple nous n’avons guère qu’une seule salle de cinéma à peu près correcte –Abbia- qu’une seule entreprise assez viable pour le cinéma - Ecrans Noirs-, qu’une seule bibliothèque universitaire plus ou moins acceptable – bibliothèque centrale de Yaoundé 1-, qu’un seul Musée, enfin appelons le ainsi -Le Musée National-, qu’une seule bibliothèque publique ne serait-ce que régulièrement ouverte – la centrale de lecture publique-, qu’un seul centre culturel ouvert par l’Etat, bien que moribond- le Centre Culturel Camerounais-. Ce maigre réseau culturel doit servir près de deux millions d’habitants que compte désormais Yaoundé. Signalons que Yaoundé est la ville camerounaise la mieux lotie en terme d’infrastructures culturelles. Arrêtons là les frais.

De l’espoir Malgré tout

A l’observation, les initiatives associatives et/ou privées abattent, malgré leurs moyens chétifs, un travail appréciable dans l’environnement culturel camerounais. Il serait même juste de prétendre que c’est encore grâce aux opérateurs culturels privés (Ecrans Noirs, Aboki I Ngoma, Clac, Fpae, Fondation Stanislas Meloné, Africréa, Doual’Art, Miss Cameroun, Ifrikiya, Luppepo…) que notre pays sort de temps à autre la tête de l’eau pour prendre une bouffée d’oxygène afin d’éviter la noyade définitive. Pourtant en ce qui concerne le secteur du livre par exemple, si l’administration camerounaise, la douane en l’occurrence, respectait la législation en accordant les exonérations prévues par les accords de Florence (1950) et le protocole de Nairobi (1972) et ratifiés par notre pays, nous pensons que tous les maillons de la « chaîne », les éditeurs en premiers, n’en seraient qu’heureux au plus grand bénéfice du consommateur final. Il est à rappeler qu’un livre vendu en France à 4000fcfa l’est à 5500 au Cameroun. La différence du pouvoir d’achat entre les deux pays étant celle que nous savons tous. Autre piste, l’utilisation efficiente du Fond d’Affectation Spécial crée le 5 décembre 2000 et dont l’objectif est de soutenir la création littéraire et artistique dans notre pays. Ce fond pourvu d’un milliard de FCFA, serait davantage bénéfique à la culture camerounaise s’il était utilisé de manière raisonnable ou tout au moins raisonnée ; on serait alors loin de donner de l’argent à des « écrivains » plutôt qu’aux éditeurs sérieux en opposant qu’on aide à l’édition et/ou à la publication des livres. Aujourd’hui au Cameroun, les multinationales (Edicef, Nathan, Hatier…) engrangent plus de 80% des parts de marché dans le domaine du livre scolaire ; or c’est le sous secteur de l’édition qui génère l’essentiel des bénéfices escomptés dans toute la filière. Pourquoi ne pas aider les maisons d’édition locales afin qu’elles puissent absorber la demande, ou à défaut obliger les multinationales à coéditer avec elles ?

Malgré toutes les adversités observées, lorsque qu’au bout d’efforts surhumains, ces entreprises et industries culturelles mettent un produit (cassette, CD, livre…) sur le marché, les pirates, « tolérés » par l’administration, les « aident » à diffuser ces œuvres de l’esprit. L’une des batailles féroces que l’Etat camerounais doit mener pour que l’artiste vive de son art est bien celle contre la piraterie. La seule volonté politique suffit pour enrayer ce fléau, nous sommes soutenus dans notre conviction par la rapidité avec laquelle l’Etat a éradiqué le carburant frelaté (Zoua zoua) au cours des années 1990. Le ministère de la culture, en plus de ses ressources traditionnelles, peut prétendre au soutien du Contrat de Désendettement Développement (C2D) octroyé par l’Agence Française de Développement.

Les professionnels des différents secteurs de la culture ne demandent qu’à participer plus activement au développement de notre pays à travers le savoir faire dont ils disposent. Il faut qu’il vienne le jour où, nous ne serons pas obligé d’aller au Centre Culturel Français de Yaoundé, au Goethe Institute, au British Council, à l’american cultural center library pour être certains de trouver le livre qu’on cherche, d’avoir une bonne salle de spectacle, de lecture, de presse, un environnement propre et gai. L’Etat du Cameroun doit mettre en place une réflexion prospective du développement culturel, réduire la piraterie à sa plus simple expression, appliquer les accords internationaux, faciliter la mobilité des artistes et hommes de culture, aider effectivement à la création littéraire et artistique en intégrant tous les professionnels sérieux connus et reconnus. A coup sûr, les opérateurs locaux se sentiront dopés pour porter plus haut l’étendard de notre culture, du moins c’est ce que certains ont déclaré lors des « premières assises camerounaises des industries culturelles dans l’espace francophone » organisées à l’IRIC de Yaoundé du 17 au 20 mars 2008 par…l’Ambassade de France.

http://www.lejourquotidien.info/index.php?option=com_content&task=view&id=941&Itemid=60

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