vendredi 21 novembre 2008

Livres : A propos du théâtre camerounais

Dans " Six écrits sur le théâtre ", Ghonda Nounga partage avec le lecteur des textes de conférences données durant les décennies 80 et 90.
Pour l'auteur l'activité théâtrale est essentiellement révolutionnaire en ce sens qu'elle engage une lutte à mort pour emprunter à Fanon, avec soi-même et les forces d'oppression et dénonciatrice parce qu'elle met un point d'honneur à dévoiler l'insoutenable légèreté humaine dont parle Milan Kundera. Les six écrits portent sur le jeu complexe de l'acteur, la posture de son corps, d'une part ; et d'un autre côté, la relation entre ce qui est latent et manifeste dans la compréhension de la trame dramaturgique, les fonctions et la langue du théâtre, et la vacuité historique dans l'écriture théâtrale actuelle.

L'acteur, le spectateur et le dramaturge
Ghonda Nounga estime qu'il faut absolument établir une différence entre jeu théâtral et simple vocalisation du texte (p.20). Le premier aspect renvoie à un ensemble gestuel complexe, qui met en interaction les organes que sont les yeux, la bouche, les bras, les jambes et la voix (Ibid.). Cette interaction qui est dirigée par le génie de l'acteur, constitue le passage obligé pour accéder à la création de son propre rôle : à cet effet, ceux qui ont eu la chance de voir Douta Seck ou Abessolo Mbo dans La tragédie du roi Christophe d'Aimé Césaire, ou Keki Manyo et Alex David Longang dans Roméo et Juliette (sous les tropiques) forme tropicalisée du texte de Shakespeare, peuvent avoir une idée de ce rôle qui subvertit le corps qui, dès lors, cesse d'être un simple élément qui permet de répercuter uniquement la valeur incantatoire du texte. Dès lors il indispensable pour tout acteur(e), afin de rendre cette alchimie effective, d'appréhender d'abord à l'aide de son esprit son rôle (Ibid.). L'acteur(e) joue donc un rôle qu'il a lui-même préalablement créé, pas l'inverse ! Et qu'en est-il du spectateur ?

Ce dernier qui, selon l'auteur, a l'illusion que la " personnalité " du personnage qu'incarne l'acteur est le facteur immédiat et déterminant de la vie du corps de l'acteur (p. 21). Le spectateur doit comprendre que l'acteur(e) s'approprie un texte et, grâce à tout son corps s'évertue à le transcrire en gestes et paroles qui sont modulés par le feu ardent du rôle qui sourd en lui/elle (Ibid.). Pour rendre cette perception possible au spectateur, l'acteur (e) doit effectuer un travail réflexif sur son propre corps afin d'en extirper un corps nouveau (pp.22-23). La forme théâtrale qui trouve sa dramaturgie achevée dans cette modélisation est le Théâtre épique de la dénonciation (théâtre dialectique): ici l'acteur(e) s'active à rendre consciente cette distance avec son personnage (p.25). Il s'agit de ce théâtre qui donne à penser à ses spectateurs -parce qu'il a une fonction sociale-, interpellant leur intellect en y instillant le doute critique afin d'éviter le plaisir esthétique uniquement (p.31).
Signes et fonctions du théâtre

Ghonda Nounga commence par reprendre un texte écrit en réaction à un article de Gilbert Doho intitulé " Des signifiants théâtraux et leur fonctionnement " publié en 1981. Il est certain pour Ghonda Nounga que Doho n'a pas compris que le signifiant scénique -la couleur pour le cas d'espèce- est non seulement un tout mais l'objet d'inculturation par excellence pour le metteur en scène. En outre, la récurrence de la couleur, à l'intérieur de cette connotation, se décline elle-même à l'intérieur de registres qui s'échelonnent en fonction du degré de votre maîtrise de la culture et de la langue qui en est le vecteur essentiel. Parler des fonctions du théâtre serait posé l'institution théâtrale en instance docte, ce qu'elle n'est pas. C'est la raison pour laquelle va inscrire ces fonctions, notamment idéologique et éducative, dans la dialectique des consciences individuelles et la représentation du vécu au théâtre (p.49) : le message dramaturgique s'adressant fondamentalement à la conscience des individus et non à leur sensibilité. Le théâtre, le vrai théâtre, étant pour l'auteur, un théâtre qui aide essentiellement à la prise de conscience et la restructuration des consciences collectives et dont l'écriture scénique évacue la simple description intimiste et métaphysiciste […] héritages des [les] plus incongrus du théâtre colonial (pp.56-57). Et surtout qu'il soit un théâtre qui parle à son public (p.59).

Le théâtre historique camerounais en procès
Historiquement, le théâtre occidental qui se déporte en terre camerounaise a pour objectif de supprimer les manifestations culturelles traditionnelles. Ce théâtre colonial porte en lui les germes de son incurie parce qu'il traite, non seulement des hauts faits de l'histoire occidentale, mais parce qu'il acculture l'élite indigène intellectuelle qui en hérite au lendemain de l'indépendance (pp.64-65). Rien donc à attendre d'un tel théâtre qui charrie les incongruités de la colonisation ! Révolutionnaire, Ghonda Nounga ira jusqu'à postuler que la richesse des événements politiques des années 50 doit impérativement alimenter ce théâtre qui doit lui-même absolument rompre les chaines du colonialisme, s'il veut survivre (p.65). Pour Ghonda Nounga, la difficulté réside en le fait que le passé structurel manipulé par le politique est devenue impropre de créations esthétiques et, partant, du théâtre historique (pp.67-68).

Et pour l'auteur, à la suite d'Achille Mbembé, c'est très peu forcer le trait que de présenter les choses ainsi tant l'évidence est poignante. Cet aspect de la réflexion pose la problématique de la pertinence du retour ou du recours aux sources, du passé, comme condition incontournable à l'avènement d'un théâtre historique qui remplisse les fonctions sociales et pédagogiques citées plus haut. Ghonda Nounga termine son essai par une réflexion sur la capacité du conte a générer une pédagogie fiable pour nos enfants. Le sujet traité succinctement soulève des interrogations fondamentales dont l'instrumentalisation véhiculé par l'idéologie du conte constitue l'un des axes moteurs (pp.82-83).
Cet essai est, au final, une réflexion critique pertinente sur le théâtre camerounais ; il eût été complet s'il avait été accompagné d'un septième écrit qui fût une critique sur les festivals (RETIC, FATEA, FATEJ, FESMOC…) et les représentations occasionnelles qui font, aujourd'hui, l'actualité du théâtre au Cameroun.

Joseph Owona Ntsama
Fondation Paul Ango Ela de géopolitique (FPAE)

Ghonda Nounga

Six écrits sur le théâtre

Yaoundé
Editions CLE
2008
85 pages
Essai

http://www.quotidienmutations.info/mutations/nov08/1227267936.php

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