La transmission est le titre du premier roman d’une trilogie de l’écrivain camerounais Eugène Ebodé- les deux autres romans de cette série sont Silikani et La divine colère ; ils sont tous parus chez Gallimard à Paris-.
L’intrigue de ce roman tourne autour de la dot qu’un homme refuse de verser à ses beaux parents et qu’il charge son fils de payer après lui. Le mot transmission est approprié pour désigner les legs que les générations qui se suivent dans la chaîne de la vie se font des valeurs matérielles et immatérielles qui permettent de fonder la vie sur des bases solides et saines, à la fois sur le plan social, spirituel et surtout culturel.
En dépit ou du fait du conflit des générations, il se met en place, dans toutes les sociétés humaines des chaines dialectiques de transmission qui permettent de bâtir le présent avec, au moins en partie, le matériau du passé. Parce que les civilisations sont mortelles, comme Paul Valéry en faisait le constat après la Grande guerre, la transmission apparaît comme l’un des moyens privilégiés pour en préserver les valeurs. Laurent Cornaz (L’Ecriture ou le tragique de la transmission, Paris, l’Harmattan, 1994) se sert de la fable d’Esope des fils héritant de leur père que La Fontaine a reprise sous le titre Le Laboureur et ses enfants pour montrer comment on peut échapper au tragique de la transmission. Relisant cette belle fable, Cornaz relève que si « le fonds manque le moins », ce n’est toutefois que par le travail qu’on y accède. Quoique riche, le laboureur qui eût pu transmettre à ses héritiers le fruit de son labeur et leur épargner l’effort, leur fait plutôt une recommandation : « travaillez, prenez de la peine ». Les situations de déshérence sont donc généralement des situations dans lesquelles les héritiers, refusant le chemin de l’effort, se contentent de solutions de facilité.
Notre théâtre est aujourd’hui un peu dans cette situation où les héritiers, à défaut d’avoir brisé la chaine de la transmission, n’ont plus ni le temps ni surtout les moyens intellectuels de creuser, de fouiller, de bêcher, de ne laisser « nulle place où la main ne passe et ne repasse ». La dédicace d’un ouvrage de Gonda Nounga (Six écrits sur le théâtre, Yaoundé, CLE, 2008) le mardi 18 novembre courant au CCF, à l’occasion de la manifestation baptisée Lire en fête, a donné l’occasion à quelques acolytes du Twenty years later de se retrouver, d’évoquer le passé glorieux de nos tréteaux, et surtout de rappeler l’incontournable exigence de la formation à tous nos dramaturges et comédiens. Entre ce théâtre camerounais des années 80 et celui qui se pratique aujourd’hui, il y a en effet très peu de liens.
Ni les comédiens, encore moins les pièces, les approches et même simplement l’esprit ne sont les mêmes. Une génération essentiellement spontanée de jeunes dramaturges qui n’ont pas fini leurs classes comme comédiens descendent de plus en plus des planches pour des rôles, à leurs yeux plus prestigieux, mais surtout plus « juteux » de metteur en scène et d’entrepreneur culturel ; ils sont ainsi seuls maîtres de la négociation et de la signature de contrats de représentations et de la distribution des cachets après les spectacles quand il y en a. Dans le pire des cas, on les retrouve à tous les maillons de la chaîne de leurs propres spectacles : auteur, metteur en scène, comédien…
Il reste heureusement quelques hommes de culture qui n’ont pas tout oublié du passé. C’est le cas du directeur de l’institut des relations internationales du Cameroun (IRIC) qui, hier, mercredi 19 décembre 2008, a programmé dans l’auditorium 250 de son institut, la représentation par le Théâtre National de l’épopée de l’abbé Léon Messi intitulée « Messi Me Kodo Endong », dans une mise en scène de Geneviève Bounya Epée. En choisissant d’aller fouiller dans le passé, Narcisse Mouelle Kombi exprime certes sa nostalgie vis-à-vis d’un passé culturel plus ou moins lointain auquel il a participé en tant que jeune auteur, lauréat du Prix de poésie de l’APEC.
Mais la représentation théâtrale dont il a été le maître d’œuvre sonne aussi comme une invitation aux jeunes générations de dramaturges et de comédiens camerounais à éviter le tragique de la transmission en renouant avec le passé du théâtre camerounais –sans renoncer à la vigilance de la mémoire que préconise Eboussi Boulaga dans La crise du Muntu- Un trésor est assurément caché dans notre patrimoine dramaturgique qui est l’un des plus riches du continent africain, à en juger par le répertoire qu’en dressait l’universitaire allemand Wolfgang Zimmer.
Etre d’autres nous-mêmes plutôt que d’être autres que nous-mêmes : tel est l’enjeu de la transmission des legs du passé sous le contrôle de notre esprit critique, de la mémoire vigilance.
Par Marcelin VOUNDA ETOA*
http://www.quotidienmutations.info/mutations/nov08/1227194107.php
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