jeudi 8 janvier 2009

Renc’Art : Ce que l'histoire retient

La poésie avait déjà si peu de place dans notre quotidien que le hasard du calendrier et la Providence qui ont fait coïncider des événements poétiques récents avec l'effervescence de la fin de l'année ne l'ont pas particulièrement bien servie. Les efforts de la jeune association " Livre Ouvert " qui organisait du 3 au 6 décembre 2009 la deuxième édition de son festival " Poésie 3V " à Douala sont ainsi passés presqu'inaperçus du grand public. Ni la mort de Jeanne Ngo Maï, la première poétesse camerounaise, décédée le 20 novembre 2008 et inhumée dans son village Poutkak, le 13 décembre 2008, ni le "Grand Prix de poésie Léopold Sédar Senghor" remporté par Fernando d'Almeida n'ont particulièrement retenu l'attention.

Poésie 3V
Le festival Poésie 3V est orignal par le choix des lieux de ses manifestations. Ouvertes dans un établissement d'enseignement secondaire de la ville de Douala, ses activités ont été clôturées dans un orphelinat, non sans être passées par des lieux insolites comme les marchés et les bars. Mercier de profession, Marcel Kemadjou Njanké, le promoteur de ce festival, revendique pour le peuple le privilège de la manducation de l'ambroisie que dédaigne désormais les intellectuels, presque tous attirés par les oripeaux du pouvoir et les pesanteurs de l'avoir. Il y a donc, dans le souffle qui anime l'action de vulgarisation de la poésie par " Livre ouvert " , une révolte contre une élite intellectuelle qui n'a plus rien d'autre à faire valoir que ses prétentions, ses diplômes et ses titres et qui a rompu toute communion avec les dieux et les Muses et qui a sombré dans la médiocrité en renonçant à l'effort et au travail.

Jeanne Ngo Maï
Etre à la fois femme de science - Elle était Dr en pharmacie, diplômée de toxicologie, de parasitologie et de sérologie de la faculté mixte de Médecine et de Pharmacie de Toulouse - et avoir été aussi proche de la littérature comme le fut le Dr Ngo Maï Jeanne Odette est assez rare de nos jours, et a fortiori à son époque. Dans un dossier consacré aux pionniers de la poésie camerounaise d'expression française publié dans la revue Hiototi (n°002/2005), Georges-Bertrand Abouna retrace son parcours et souligne ses actions militantes au profit de la littérature camerounaise. Trésorière de l'Apec, elle fut aussi membre du prix Ahmadou Ahidjo, membre de la commission littéraire et du Conseil international des Femmes (Cif). Présentant le recueil de Ngo Maï, Poèmes sauvages et lamentations, Paul Dakéyo affirme qu'il " dresse un réquisitoire sévère mais amplement justifié contre ceux qui ont commis crimes et exactions diverses sur le sol africain, au nom d'une prétendue civilisation, dont le but avoué était l'exploitation et la saignée à blanc des peuples pacifiques et accueillants ".

Fernando d'Almeida
C'est l'Académicien Jean Christophe Rufin, actuel Ambassadeur de la France à Dakar qui a remis à Fernando d'Almeida le "Grand Prix de poésie Léopold Sédar Senghor" que lui a décerné la Maison africaine de la poésie internationale (Mapi). Le premier recueil de poèmes de d'Almeida est paru il y a trente deux ans. L'auteur de Au seuil de l'exil (éditions J.P. Oswald) a par la suite publié à Québec, L'Arrière-pays mental (édition Ecrits des Forges, 1991), Traduit du Je Pluriel (Nouvelles Editions Africaines, 1980) mais surtout au Cameroun. D'Almeida a profité de l'éphémère existence d'une maison d'édition au sein du Ccf de Douala pour publier Mesure de l'amour en 2004 et pour chaperonner la publication d'une demi douzaine de recueils dont le sulfureux et quasi pornographique Boulevard de la liberté.

Dans un écrit théorique organisé autour du concept de " poérotique ", d'Almeida essaie de justifier et même de revendiquer pour les poètes camerounais le droit de dire le corps au-delà de la limite qu'autorise la pudeur.
Mais une partie importante de l'œuvre poétique de Fernando d'Almeida est parue aux éditions de l'Estuaire, sa propre maison d'édition. Ingénieux et surtout pragmatique, le poète a ainsi publié plus d'une dizaine de recueils et d'essais, parfois à la tonalité hagiographique ; tous ces textes écrits, composés techniquement par lui-même, reprographiés par ses soins, ont été numérotés de 1 à 100 et signés de sa main au titre de l'édition originale. Sans grands moyens, d'Almeida a ainsi pu vider ses tiroirs, quoiqu'on pense de la qualité de la fabrication de ses œuvres et de la distance critique qui sépare l'éditeur de l'auteur desdites œuvres.

Cette solution pratique, si elle a le mérite de pallier la réticence des éditeurs à publier la poésie, n'en pose pas moins un grave problème d'éthique éditoriale. Il faudra un jour régler ce problème en faisant rééditer toutes les œuvres de Fernando d'Almeida parues localement (à l'exception de Provisoire lieu du poème paru aux Presses Universitaires de Yaoundé en 1999) pour donner à découvrir sous son meilleur jour ce poète de grand talent que Senghor lui-même avait salué. "Incontestablement, lui écrivait Senghor, vous avez cette vertu des poètes qui est d'être en puissance d'imagination et, plus précisément, de créer des images symboliques neuves. J'ai constaté, également, cette maîtrise parfaite de la langue française qui vous permet de jouer avec les mots."

http://www.quotidienmutations.info/janvier/1231376504.php

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