jeudi 29 janvier 2009

Bassek ba Kobhio : Je rêve d'une culture populaire et élitiste


Le président général de l'association " Ecrans noirs " parle de sa vision pour la culture en 2009 et de la dernière édition du Fenac.
Depuis quelques années, l’activité cinématographique souffre au Cameroun. Le clou est la fermeture des salles de cinéma. Qu’en dites vous ?
L'Etat a son rôle à jouer. Il y a quelques années, j'avais fait quelques propositions pour que certaines personnes fédèrent leurs actions autour du cinéma Abbia pour qu'on le relève. Le problème c'est que l'organisation de l'actionnariat du cinéma Abbia fait qu'il est difficile pour quelqu'un ou pour l'Etat de venir, étant donné que la salle est la propriété d'un individu ou d'un groupe, en l'occurrence Monsieur Fotso Victor. Cinenews qui gère la distribution veut bien ouvrir son capital, mais il sera difficile pour quelqu'un de mettre de l'argent si les murs n'appartiennent pas à Cinenews. Une expérience similaire de laquelle sort d'ailleurs Cinenews a échoué au niveau de l'Afrique, parce qu'une société montée par le groupe Cfao n'avait pas les murs de ses cinémas. Aujourd'hui on se retrouve avec le bailleur Fotso qui scelle la salle parce que la société qui apporte les films n'arrive pas à payer le loyer. Ce qui est triste c'est qu'au Mali, le groupe Fotso a construit une très belle salle là-bas, le Babemba, qui est l'une des plus belles salles d'Afrique et qui marche parce qu'elle est belle et attrayante, avec une belle image et un bon son, et que par conséquent les gens y voient des films très intéressants, alors qu'elle est gérée par les mêmes propriétaires de Cinénews.. Pourquoi le feraient-ils bien ailleurs et pas au Cameroun, alors que le pouvoir d'achat est plus fort ici que là-bas ? Quant à votre deuxième question, on ne peut pas imaginer que dans un pays comme le nôtre, le gouvernement ne puisse pas s'impliquer dans un secteur comme celui-là, celui de l'exploitation et de la distribution cinématographique. On ne doit pas considérer le cinéma comme une marchandise comme les autres. Il a un rôle d'information, de formation et d'éducation et je crois que le gouvernement a totalement son rôle à jouer dans cette affaire.

Doit-on comprendre que vous parlez du ministère de la Culture?
Quand je parle du gouvernement, je le prends au sens très large. Je veux parler d'Etat. Le ministère de la culture certes, mais la municipalité par exemple a son rôle à jouer. Comment est-ce que le maire de Yaoundé va accepter qu'aucune salle de cinéma n'existe dans sa ville ? Il y a des choses qui font une ville. Une ville ce n'est pas que des routes bitumées, des espaces verts. C'est aussi des espaces de spectacles et des espaces de vie. Quand la mairie va casser au Carrefour Bastos à Yaoundé parce que, dit-on, la nuit ça devient un lieu où sévit le banditisme, je dis : construisez pour ces jeunes des espaces culturels dans lesquels ils se retrouvent. C'est des salles de cinéma, des lieux de spectacles, ces choses qui font qu'il y ait une activité culturelle saine qui les draine. Par ailleurs, il n'y a pas que le cinéma. Quand on va fermer le cinéma théâtre Abbia, ça signifiera que les concerts seront organisés où ? Au palais des congrès ? C'est une possibilité mais ça ne peut pas être la seule. Il faut une implication du gouvernement et de la municipalité qui font que ce secteur qui est rentable mais qui demande à être soutenu au départ soit protégé.

Vous n’avez pas empéché que la capitale s’ouvre au commerce. Alez-vous recommencer avec Abbia?
Vous savez ce qui se passe au Cameroun. Vous réussissez à convaincre un ministre qui engage un combat, et il suffit qu'il y ait un remaniement pour que six mois plus tard, les choses changent et que cette décision soit invalidée parce que le nouveau ministre ne se sent pas lié par cette décision. Le plus scandaleux c'est qu'au départ, ce n'est pas Mahima qui aurait dû s'installer dans les locaux du capitole mais plutôt une société espagnole de salles de jeux! C'était presque signé et on a réussit à bloquer. Ils sont repartis et plus tard, les autres sont venus grenouiller dans l'affaire et Kadji a réussi à faire ce qu'il voulait.

Au Fenac 2008 à Maroua le cinéma n'a presque pas eu de place…
Dans un festival comme celui-là, tous les arts veulent s'exprimer. Beaucoup de gens pensaient qu'un festival culturel c'est un festival de musique donc, la sonorisation qui était là pour la musique et les autres arts ne l'a pas été toujours pour tout le monde. Dès 18h on faisait la balance musicale sur le grand podium. Il a fallu se battre pour que dès le deuxième jour les gens de la musique laissent quand même un film passer. C'était un problème de programmation. Puis le troisième soir, les danseurs Gourna qui auraient dû passer dans l'après midi mais qui n'ont pas eu cet espace ont démarré à 19h. C'est aussi ça une fête des artistes. Nous nous sommes dits qu'après le Fenac, nous aurions quelques jours pour faire des projections grand public dans la province. Ce qui a été fait et elles ont eu un grand succès. C'était un foisonnement culturel énorme. Je reste convaincu que les populations de l'Extrême-Nord ont été contentes de vivre ces moments de foisonnement artistique, y compris les projections de films.

On vous connait souvent éloigné des manifestations du Mincult. A Maroua vous étiez presqu’ataché de Presse ?
Il se trouve que la veille de mon départ pour l'extrême nord où je devais exclusivement m'occuper de cinéma à la demande de la ministre de la Culture , puisque je ne faisais pas partie du comité national d'organisation, madame le ministre m'a dit qu'il y avait des secteurs dans lesquels elle voulait que je m'implique C'est comme cela que je me suis retrouvé à travailler avec les personnes en charge de la communication. Et puis, madame Ama Tutu Muna m'avait avant cela entretenu de ses projets en matière de culture. J'y ai cru, et c'est pour cette raison que j'ai décidé de me lancer à ses côtés. J'ai travaillé avec plusieurs ministres de la culture et il y a des moments où il y a eu beaucoup d'incompréhensions, mais à la fin de leurs parcours, nous étions tous en de bons termes. Il y a des gens qui vous emmènent non seulement à adhérer mais à mettre la main à la pâte. C'est ce qu'elle a réussi à faire avec moi. Quelques mois avant que je ne quitte ce qui était à l'époque le ministère de l'information et de la Culture, j'ai beaucoup travaillé avec Henri Bandolo. Il me faisait rêver parce qu'il avait des idées et des projets toutes les deux minutes. Je me souviens que lorsqu'il est revenu des sept d'or en France, à peine était-il arrivé à l'aéroport qu'il m'a appelé. Il souhaitait qu'on organise une manifestation similaire au Cameroun. J'en étais réjoui. C'est comme cela que sont nés les épis d'or qui ont, malheureusement, été la première et unique manifestation au cours de laquelle on avait distribué pour près de 30 millions de prix. Il y avait des musiciens, des cinéastes, des journalistes… Avant, il avait fallu regrouper les artistes sur une même scène. C'est ainsi qu'est né le Festac, ancêtre du Fenac.
Et voilà une dame qui vient diriger le ministère de la Culture et qui me dit ses rêves pour la Culture camerounaise. Elle veut que la culture camerounaise se vende au niveau du monde, qu'elle se donne à voir partout… je suis séduis par le fait qu'elle ait un projet et forcément, on rêve avec elle, même si on n'est pas d'accord sur tout. Sa façon de s'impliquer dans l'organisation des évènements, à l'image de l'hommage à Anne Marie Nzié, m'a également convaincu que je pouvais travailler avec elle. Je l'ai fait avec le Fenac. Quelques personnes l'ont lâchée en cours de route pour diverses raisons, et j'ai pensé qu'il était temps que je lui apporte ma contribution.

Malheureusement le rêve de Maroua a viré, pour certains, au cauchemar …
Il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Il est vrai qu'elle est loin de moi l'idée selon laquelle tout a été parfait. Seulement, je pense que le Fenac, tel qu'il a été fait, a été une réussite et il ne peut pas s'évaluer totalement maintenant. C'est lorsque les artistes vont commencer des carrières internationales du fait de leur passage à Maroua que l'on pourra faire le point. Quand je vois la difficulté de l'affaire et que je vois d'où elle est venue et où elle est arrivée, je pense que ce n'était pas évident.

Vous êtes très optimiste…
Maroua s'est retrouvé avec près de 500 artistes musiciens. Vous ne pouvez pas en quatre nuit faire passer 500 artistes. Le premier mécontentement a été que tout le monde pensait qu'il allait passer. Quand on fait un festival de la culture et qu'on invite des artistes ça ne signifie pas que tout le monde va prester. Ils ont quand même réussi l'exploit au ministère de faire jouer 30 artistes par jour ça fait quand même 120 personnes. Pour les problèmes de logement, il faut se rappeler que Maroua n'a pas une grande capacité hôtelière donc, lorsque 3000 personnes débarquent, ce n'est pas évident.

Il y avait donc des précautions à prendre…
Oui mais quand on disait aux gens d'aller dormir au lycée, ils refusaient d'y aller.
Il n'y avait pas de matelas au lycée les deux premiers jours, rien n'avait été aménagé pour les y accueillir.
Je n'ai pas été au courant de tout. Ce que je sais c'est qu'on a acheté environ 1500 matelas. Si il n'y en a pas eu, ça signifie qu'il y avait plus d'artistes que prévu. Le ministère de la Culture devra prendre note de ces manquements pour pouvoir s'améliorer les prochaines années en espérant que la prochaine édition qui devra se tenir dans deux ans ne mettra pas sept autres années avant d'être organisée. Pour ce qui est du problème des transports, il y a eu des problèmes avec l'avion militaire. L'information passait si mal qu'on se retrouvait parfois avec des avions spéciaux à moitié pleins. Je pense qu'il faut encourager les personnels du ministère car pour la plupart, ils n'avaient jamais pris part ou organisé un grand festival.

Le budget total de ce festival était de 1 milliard 300.000Fcfa mais il y a encore des dettes que le ministère de la Culture devra régler. Comment vous qui avez pris part à cette organisation l'expliquez-vous?
Je ne suis pas au courant des détails financiers de ce festival. J'ai lu dans la presse que le budget était de un milliard et plus. La ministre l'a aussi dit je crois. Je sais que ça a beaucoup jasé à propos de l'argent de la sonorisation mais on s'est bien rendu compte que cette sonorisation a permis de faire rêver les populations de Maroua. Pour le reste, je ne suis au courant de rien, sinon que oui, il reste des dettes à payer. Je ne peux pas dire le contraire puisque nous avons-nous-même des factures non encore honorées. Mais je crois savoir que le ministère attend des paiements.

Quelle est votre vision de la culture pour 2009 ?
C'est une culture à la fois populaire et élitiste. Cela veut dire que dans l'animation artistique permanente, il faut des choses qui touche le grand peuple mais aussi qui élève ce peuple. La culture n'est pas forcément quelque chose du " quartier ". Si on a cette vision-là, on pense qu'à partir de ce moment là, on peut commencer à bâtir. Il y a un problème dans notre pays aujourd'hui c'est parce que tout dépend en grande partie des ministres de la Culture. Comme en général nous n'avons pas trop de moyens, et que les municipalités n'ont pas encore compris la place qu'elles doivent jouer dans l'animation culturelle, il faut que le ministère de la Culture joue son rôle en attendant que les autres en prennent conscience. C'est pour cela qu'on a l'impression qu'il y a des moments ou il y a une intense activité culturelle et d'autres où rien n'est organisé alors que c'est pratiquement le même budget que le ministère de la Culture gère chaque année.

Pour ce qui est du festival Ecrans noirs que vous dirigez, une grogne des personnes primées s'est fait entendre il y a quelques mois… Avez-vous régularisé leur situation?
Il n'y a pas eu de grogne, il y a eu un seul lauréat pressé de recevoir son enveloppe qui a inondé tout le monde de mails. Dans presque tous les festivals du monde, les trophées sont remis à la cérémonie de clôture, les enveloppes suivent après. Au Fespaco, ça peut aller jusqu'à six mois, ça dépend de qui finance le prix. Nous avons mis au maximum 52 jours pour tous les prix. Avez-vous eu la moindre plainte depuis s'agissant de prix ? Nous avons quelques factures encore à régler dont le reliquat pour l'hôtellerie, mais ça dépend aussi du rythme de versement des subventions par nos partenaires.

Nous avons appris que Patricia ne fait plus partie de l'effectif des Ecrans Noirs ?
(Rires) Vous m'en apprenez, des choses. Ce matin encore, nous travaillions sur les projets d'affiche en concours. Pour être plus sérieux, Patricia n'a pas besoin de douze mois pour préparer et boucler les Ecrans Noirs. Six mois lui suffisent, et sa passion de la mode et de la couture, elle s'y consacre depuis toujours, mais elle va lui donner une dimension plus professionnelle à travers le label Moune. Alors pendant les six autres mois elle s'y consacrera un peu plus. Mais soyons sérieux, un jour viendra où moi-même ou Patricia nous devrons ou voudrons arrêter d'être de l'équipe. Cela ne voudra pas dire que les Ecrans s'arrêteront. Nous souhaitons que les Ecrans Noirs nous survivent. En attendant, nous sommes là, et de nouvelles et fortes réformes ont été engagées : nous allons avoir un conseil d'administration très fort, et Patricia passe de Directrice à Directrice Générale.

Et la société les Films Terre Africaine, il se dit que vous allez la fermer.
Vous avez de curieuses sources d'information. Les Films Terre Africaine, c'est autre chose que les Ecrans Noirs. C'est ma propriété, moi et les actionnaires. Je peux la réformer quand je veux, comme je veux, sans rien demander à quiconque. Il y a quatre ans, j'ai viré deux collaborateurs indélicats, et votre journal sur la base de leurs informations a écrit que nous allions fermer. Nous sommes toujours là, comme vous le voyez. Quand on est propriétaire de négatifs du " Grand Blanc", de " Sango Malo " ou du " Silence de la forêt ", et j'en passe, toutes les banques en Europe vous apportent de l'argent si vous en avez besoin. J'ai reformé au mois de juin dernier la société, j'ai réorienté ses activités vers la production de films lourds, ça veut dire que il y a un certain type de personnel dont je n'ai plus besoin. Pour pasticher un célèbre personnage, pour la mort des Films Terre Africaine, revenez dans 20 ans.

Propos recueillis par Dorine Ekwè

http://www.quotidienmutations.info/janvier/1233192272.php

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