lundi 22 mars 2010

Koko Ateba : « Cette affaire m’a obligée à m’exiler »


nvitée par la fondation Solomon Tandem Muna pour un spectacle offert par la fondation aux étudiants de l’université de Buéa, la chanteuse camerounaise parle de sa carrière, de sa vie en France, de ses projets, et revient sur la chanson qui l’a conduite en prison et poussée à l’exil.
Vous êtes au Cameroun depuis le 07 mars dernier. Qu’est-ce qui vous amène?

J’ai été invité par la fondation Solomon Tandem Muna pour un spectacle offert par la fondation aux étudiants de l’université de Buéa. J’ai fait un premier spectacle ici le 10 mars, à l’occasion de la visite de la présidente internationale de Transparency international. Puis, le 12 mars, à Buéa. Le spectacle s’est super bien passé, au point où on envisage de le refaire.

Depuis plusieurs années, on attend la sortie du 4ème album sur lequel vous travaillez. Que se passe-t-il ?
Cet album, je le prépare depuis longtemps. C’est juste que les choses ne se passent pas toujours comme on le veut. Pour tout un tas de raisons, il n’est pas sorti sous la forme que je voulais. Il y a aussi eu quelques problèmes d’entente entre les différentes parties, c’est-à-dire l’arrangeur, le producteur et moi. Mais je continue de créer des chansons.

Avec qui travaillez-vous sur cet album ?
Je préfère ne pas annoncer les choses. Je continue à travailler et je pense que très bientôt, cet album verra le jour.

Parlez-nous de vos débuts dans la musique
J’ai toujours aimé la musique. Déjà au primaire, je chantais dans la chorale de mon école. Mes modèles étaient Myriam Makéba, Tina Turner… J’ai vraiment commencé la musique quand je suis venu à Yaoundé dans les années 80. J’ai rencontré Claude Ndam, Jimmy Biyong, Essindi Mindja… On essayait de faire la musique autrement. C’est à cette occasion que j’ai connu la famille Muna. Ils nous ont énormément soutenus. Très fauché, on allait dans leurs bureaux pour demander de l’aide afin de payer le loyer, l’électricité, ou organiser un spectacle. Ce sont des mécènes dans le vrai sens du terme car non seulement ils soutiennent matériellement l’artiste, mais ils l’amènent à développer son travail. A l’époque, on n’avait pas beaucoup de cabarets à Yaoundé. Le seul qui existait était le Kanibal de M. Eteki. Je me souviens d’ailleurs que pour mon premier concert au Ccf (Centre culturel français, ndlr), c’est Marie-Louise Eteki Otabela, son épouse, qui m’avait prêté une robe, une très longue robe blanche. Après, Manu Dibango a repris le cabaret et ça a continué.

Quand vous parlez des Muna, vous parlez de qui exactement ?
Je parle du grand-frère Ben, du petit frère Akere, de Wally. J’ai un lien très fort avec cette famille. Ce sont des gens qui m’ont aidé à persévérer.

En 1988, vous avez interprété devant la première dame, Jeanne Irène Biya, la chanson « Atemengue » qui a failli vous coûter votre carrière…
Elle m’a quand même couté ma carrière ! La preuve c’est que depuis 20 ans que je suis partie, officiellement, plus personne ne m’a plus invité dans ce pays.

Que s’était-il passé ?
(Avec gêne) Je ne veux plus parler de ça, j’en ai déjà parlé à d’autres occasions et je voudrais évoluer par rapport à ça. Il se trouve que des gens ont mal interprété une chanson que j’avais chantée à cette occasion. Cela m’a valu quelques mois de prison, l’interdiction de la chanson… Je crois que ça continue parce que c’est comme si je ne compte pas. On invite les artistes de partout, sauf moi.

Comment vivez-vous cette situation ?
Forcément, on la vit mal. Je suis camerounaise et fière de l’être. J’ai enduré beaucoup de choses pour être un tout petit peu respecté en tant qu’artiste. Et que tout ça soit balayé jute parce que ma tête n’est pas revenue à certaines personnes, ou que certaines personnes n’ont pas compris ce que je voulais dire, c’est très triste, c’est dommage, surtout pour moi.

Aujourd’hui, près de 30 ans plus tard, quel regard jetez-vous sur votre carrière ?
Ma carrière n’a pas été ce qu’elle aurait dûe être. D’abord parce que le contexte de l’époque n’était pas celui d’aujourd’hui. Il n’y avait pas les possibilités de tournée qu’il y a aujourd’hui, pas de télés, pas de cabarets. Et puis, il y a eu cette histoire catastrophique qui m’obligée à m’exiler alors que ce n’était pas dans mes plans. Cela dit, je ne regrette rien. Je pense qu’il y a des choses qu’on ne peut pas enlever à un individu. Même si je ne suis pas sur la lumière, même si je ne suis pas millionnaire, je suis quand même une artiste.

Vivez-vous de votre musique ?
En France, au début, oui. J’ai beaucoup tourné. Après j’ai eu un enfant. Ca ne pardonne pas parce qu’on est moins disponible, et surtout, je n’ai pas de famille sur place pour m’aider. Ces dernières années, je n’ai vécu que pour mon fils. Je ne dis pas que ça été un sacrifice. Je suis très fière de mon fils qui, d’ailleurs, veut aussi faire de la musique. Pour le moment, je stoppe un peu tout ça. Ce n’est pas évident et du coup, on fait d’autres boulots.

Qu’avez-vous fait comme boulots ?
J’ai fait de tout. Du secrétariat, j’ai gardé les enfants, j’ai travaillé dans des cantines, j’ai fait une formation en hôtellerie… Maintenant, mon fils a 13 ans et je peux le confier à d’autres gens. Je reprends vraiment mon travail d’artiste. Je suis revenue sur la scène, je vais être plus présente. J’espère qu’il y aura des gens qui vont m’inviter pour que je revienne plus souvent au Cameroun.
Quels sont vos rapports avec les autres artistes camerounais qui évoluent en Europe?
J’ai la chance de connaître beaucoup de génération d’artistes, même si je connais moins ceux de maintenant. On se rencontre dans des soirées, des deuils. Je regrette toujours qu’en France, on ne soit pas organisé en association parce que les mêmes divisions qu’il y a ici existent là-bas.

Quels sont vos rapports avec le ministère de la Culture ?
En réalité je n’ai pas de rapport avec la nouvelle ministre.

C’est une Muna…
Oui. Mais je n’ai pas de rapport particulier avec elle. Cependant, il y a de bonnes choses qui son faites. Par exemple, le Fenac (Festival national des arts et de la culture, ndlr), le musée national qui a été réhabilité. Et je vois plus de danse traditionnelle à la télé. C’est une bonne chose. Les Camerounais ne connaissent pas leur culture, beaucoup ne connaissent pas leur histoire. Les jeunes aujourd’hui sont abreuvés de choses qui viennent d’ailleurs. Nous même, quand on était jeune, on avait cette tendance à penser que c’est ce que les autres font qui est bien. Il faut que les jeunes s’intéressent à nos traditions et surtout, qu’ils puissent les développer. Donner à voir notre culture va les aider à construire leur identité et leur vision du Cameroun. J’ai vu qu’il y avait un grand mouvement de hip hop, de rap. Mais ce sont des mouvements qui viennent d’ailleurs. La question ici c’est qu’est-ce que nous pouvons créer qui nous ressemble et que nous pouvons montrer aux autres en toute fierté ?

Quels sont vos rapports avec la Société civile camerounaise de l’art musical ?
Depuis que je suis partie, il y a eu trois sociétés de droit d’auteur : la Socinada, la Cmc et la Socam. Aucune de ces sociétés ne m’a jamais payé de droits d’auteur. Est-ce que vous pensez que c’est normal ? Est-ce que vous pensez que plus personne ne joue ma musique ? Je n’existe plus dans ce pays. Mais on survit à ça.

Vos rapports avec l’argent ?
C’est pas que j’ai mal gagné ma vie mais tous les artistes savent ça, on gagne subitement beaucoup d’argent et puis après, on n’a pas grand-chose. Et comme on est resté longtemps sans en gagner, on a plein de choses à payer. L’argent, ça va, ça vient. J’avoue que pendant longtemps, j’étais très peu matérialiste. C’est une erreur de ne pas respecter l’argent. Maintenant, je reconnais la valeur de l’argent, d’autant plus que j’ai un enfant et des contraintes bien précises.

Avec les hommes ?
Là, c’est très compliqué. Etre une artiste fait que les hommes ont peur de vous aborder. Je pense aussi que j’ai une forte personnalité. Apparemment, je donne l’impression de quelqu’un qui sait où il va, ce qu’il a à faire, mais je suis comme toutes les femmes, j’attends toujours mon prince charmant. Je me suis mariée ici en 1998. Mais on s’est éloigné mutuellement. Maintenant, je vis seule et j’ai appris à apprécier ça. C’est la chose qu’on a le plus de mal à assimiler quand on vit en Europe. Ici, on n’est jamais seul, il y a toujours la famille. Or en Europe, même quand on est en couple, on est toujours seul. Du coup, on apprend à être moins dépendant des autres.

Avec les femmes ?

Très bons. Avant, j’étais très garçon manqué. J’ai aussi passé l’époque où les femmes pensaient toutes que j’allais leur prendre leur mari juste parce que je chantais. Avec la maturité, elles comprennent que je n’ai pas besoin d’avoir tous les hommes.

Vos rapports avec Dieu ?
Je suis bouddhiste depuis plus de 30 ans. Beaucoup de gens comprennent mal le bouddhisme. C’est une religion qui nous enseigne comment vivre et rechercher Dieu dans notre vie. En même temps, c’est une discipline de vie : se connaître, s’améliorer, se perfectionner en tant qu’être humain. Je pense que je suis dans la continuité de ma foi chrétienne que j’ai reçu à la naissance. Ma pratique bouddhiste m’amène à regarder au-delà de l’apparence. Je dois savoir que la vie est éternelle et c’est à moi d’essayer de trouver cette dimension dans ma propre vie. Par exemple, ne pas avoir peur de la mort et ne pas penser que les gens qui sont morts ne sont plus avec nous.

Écrit par Stéphanie Dongmo

Quotidien le jour


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